
Le feng shui est un art millénaire d’origine chinoise qui a pour but d’harmoniser l’énergie d’un lieu de manière à favoriser le bien-être, la santé et la prospérité de ses occupants.
Le fann tchou, lui, un phénomène social, consiste en une volonté habituelle et délibérée de nuire, de faire du mal, de porter atteinte à l’autre, d’empêcher sa progression… David Nifle clarifie : « Le fann tchou est un empêchement de tourner en rond : mettre des bâtons dans les roues… Dans une société antillaise ayant perdu de vu ces valeurs communautaires, ou le progrès devient individualiste, le fann tchou devient un empêchement porté par au moins un des 7 pêchés capitaux (jalousie, avarice, envie, etc)… Vous prenez une personne, qui a un projet, une mission à remplir, et vous faites tout ce qui est possible pour l’empêcher de réaliser son but. C’est ni plus ni moins que du sabotage et de la sape. »
Clairement, le feng shui et le fann tchou n’ont rien en commun. L’un améliore le flow de l’énergie et la qualité de la vie alors que l’autre l’entrave.
Pour certains comme Patricia BRAFLAN-TROBO dans« Couleur de peau, stigmates et stéréotypes, La légende des crabes à l’épreuve du management » Nestor 2011, le fann tchou ne serait qu’une vue de l’esprit, un préjugé auto-flagellateur, une idéologie autodestructrice que certains véhiculent comme une vérité.
Selon le psychologue clinicien Errol Nuissier, « Le fann tchou est un phénomène comportemental et sociétal d’actualité qui consiste à détruire l’autre ou être jaloux de sa réussite. L’idée du Fanntchou est révélatrice des rapports sociaux notamment au sein des entreprises. » Il évoque le panier de crabes, le refus de voir l’autre réussir. « Ce mode de fonctionnement fréquent envahit la société et l’empêche d’avancer. Cette jalousie chronique est un poison sociétal qui empêche de progresser. »
Le fann tchou touche tous les secteurs d’activité.
Pour d’autres, c’est une réalité vécue et ressentie dans la moelle. Le fann tchou se reconnait dans l’ensemble d’attitudes, de paroles et de comportements réducteurs auxquels ils sont confrontés lorsqu’ils font preuve d’initiatives, essayent d’entreprendre, comme si seul leur échec apporterait de la satisfaction aux autres, autour d’eux. Ce phénomène n’est pas propre aux guadeloupéens. Notre distinction est de lui avoir donné un nom.
Selon Jean-Philippe Branchi dans un blog de Politiques Publiques ce que « un brillant homme politique Guadeloupéen a surnommé la Fann’Tchou’Mania (serait) Une culture locale, entrepreneuriale et managériale du machiavélisme… une culture animale et cannibale… dont l’unique but est de détruire le génie instructeur, producteur et procréateur de l’élite antillaise… Et ce, pour la faire taire aux profits d’intérêts carriéristes, stérilisants et dangereusement improductifs. »
La poétesse et romancière martiniquaise, Nicole Cage, lance dans une vidéo un coup de gueule contre la culture du « fann tchou » que certains étalent sans complexe sur les réseaux sociaux, n’hésitant pas à démolir leurs compatriotes. Elle ne mâche pas ses mots à l’égard de ceux qui passent leur temps à dézinguer leurs compatriotes. « Qu’est-ce qui nous arrive ? », s’interroge-t-elle, avant d’ajouter : « quand est-ce qu’on arrête de taper sur nous-mêmes. (…) Quand est-ce qu’on s’aime ? Quand est-ce qu’on se respecte ? »
Loin de représenter le comportement de tout le monde en Guadeloupe, le fann tchou reste une tendance marquée chez une tranche motivée et bruyante de la population. Une amie me rappelait récemment avec une citation de l’artiste Zef : « Le problème avec les gens qui ont un esprit fermé … c’est que leur bouche est toujours ouverte… ! »
J’interprétais la Guadeloupe de mon enfance en grande partie au travers du décodeur que me fournissait ma grand-mère bien-aimée. Elles, la Guadeloupe et ma grand-mère, étaient définies par la solidarité, les koudmen, l’entraide, les tontines, la résilience, la bienveillance et l’amour. C’est aussi son enseignement que je décris, l’héritage qu’elle m’a laissé. Cet univers était celui dans lequel évoluait une personne que j’admirais. Certains continuent de s’épanouir dans un univers semblable, et je m’en félicite pour eux. Ce n’est plus le cas pour moi, mais je m’attelle à changer cela.
La Guadeloupe dans laquelle je suis revenu, que je redécouvre et dans laquelle j’évolue aujourd’hui se veut moderne dans le mauvais sens, et bien ancrée dans l’individualisme. Rien de nouveau pour vous là-dedans. C’est tout à fait inattendu pour moi.
Depuis, ma grand-mère a rejoint nos ancêtres, et de l’au-delà, ensemble, ils veillent sur leur descendance. Dans ma façon de voir, se distancier de ses racines, des valeurs humaines et solidaires qu’elles incarnent, oublier les enseignements du passé, des anciens, reviendrait à tomber dans le piège d’une conception ultralibérale du monde qui favoriserait notre atomisation, et nous vulnérabiliserait pour mieux nous exploiter.
Quelles perspectives d’avenir le fann tchou nous laisse-t-il vraiment ?
Quel antidote proposez-vous à la philosophie du fann tchou ? Pour ma part, je propose Ubuntu.
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